
Les récits de la fondation de Rome par les auteurs anciens fait la part belle aux mythes et à la religion. En effet, ils présentent Romulus comme le tout premier Romain, soutenu par les dieux et destiné à fonder la cité la plus puissante du monde connu. Les historiens, anciens et modernes, se sont donc penchés sur la question de la réalité contenue dans les mythes de fondation dans le but de remonter le plus loin possible dans la chronologie romaine. Aujourd’hui il semble très difficile d’admettre qu’un récit cohérent de l’histoire puisse faire place à des légendes telles que celle d’Énée ou des jumeaux Romulus et Remus. Pendant l’antiquité, les auteurs antiques eux même prêtent peu de crédit à ces légendes. De plus, les historiens et archéologues n’arrivent pas à dater précisément la période la plus reculée de l’histoire de Rome. Néanmoins, la mythologie est dans bien des cas un habillage de l’histoire. Mais dans ce cas, qu’en est-il de la réalité historique de ces récits mythiques ?
Retrouver la Rome des origines, un problème majeur pour les historiens
L’archéologie rencontre de nombreux problèmes pour retrouver des traces de la Rome antique. Tout d’abord, la ville de Rome est traversée par le Tibre. Ce fleuve, lors de crues successives tout au long de l’histoire, a enseveli une partie des vestiges antiques sous de la terre. Au fil des années cet amas de terre est devenu de plus en plus conséquent. De ce fait, il est difficile de trouver le sol antique et ses vestiges. De plus, la ville de Rome a connu de nombreuses constructions.

Tout d’abord, les empereurs romains, dès le I° siècle, ont entrepris de grandes campagnes édilitaires pour embellir la cité et lui donner le prestige de capitale d’empire. Pour cela, on a construit beaucoup de nouveaux bâtiments mais on en a détruit aussi de nombreux autres. Les catastrophes naturelles ont aussi contribué à détruire de nombreux vestiges archéologiques comme le grand incendie de Rome en 64, sous l’empereur Néron. Pendant la Renaissance, de nombreux palais ont vu le jour dans la cité et pour installer les sous-sol de ces derniers, de nombreuses destruction des sols ont été effectuées. Enfin, dans un contexte plus contemporain, la ville de Rome a connu d’autres grandes phases de travaux qui ont porté atteinte aux vestiges antiques comme les travaux de Mussolini au XX° siècle. Il est donc devenu difficile de trouver des vestiges antiques et de les interpréter car on a toujours une vision partielle de l’histoire et non une vision d’ensemble.
Enfin, les historiens et archéologues font face à des problèmes de datation dont certaines sont très controversées. En effet, comme le précise Mary Beard dans son ouvrage SPQR, il n’y a pas de datation absolue pour aucun des matériaux archéologiques exhumés dans le site et les environs de Rome remontant à la période archaïque, c’est à dire la période prétendue de fondation de Rome, dans le site de Rome et ses environs. De plus, certaines découvertes font l’objet de débats violents dans la communauté historienne. Tous ces éléments nous montrent donc qu’il est difficile pour les historiens de trouver des vestiges datant de la fondation de Rome et de construire un récit cohérent de cette dernière. Toutefois, les historiens sont parvenus à trouver des vestiges sur le site de Rome qui excluraient une fondation au VIII° siècle avant notre ère, comme le veut la tradition littéraire antique.
Une fondation antérieure au mythe ?

En effet, des découvertes archéologiques ont mis à mal la possible fondation de la cité au VIII° siècle : des traces d’occupation du site datant du X° siècle avant notre ère entre le Palatin et le Capitole. De ce fait, les archéologues ont retrouvé des cimetières se trouvant sous l’emplacement du forum romain antique. Ces cimetières témoignent de l’existence de communautés et de villages sur le site de Rome dès le X° siècle. Certains vestiges remontent même jusqu’au XV° siècle avant notre ère. En effet, on peut trouver sur le site des regroupements de huttes construites en matériel périssable, c’est à dire en bois, terre glaise et chaume. Certaines urnes funéraires représentant ces petites bâtisses et nous donnent une idée plus ou moins précise de leur aspect. Mais ces urnes ne nous donnent aucun élément sur la vie quotidienne dans ces huttes, ces petites communautés. Nous n’avons donc aucun élément sur le mode de vie de cette époque. Les historiens tentent tout de même à pallier ce manque d’informations en cherchant dans les abords de Rome. Tous ces éléments nous montrent donc que le site de Rome regorge d’une préhistoire importante dont il nous reste encore beaucoup à apprendre. Ici, tout prête à penser que les récits de fondation de Rome sont tous faux étant donné la présence de vestiges plus anciens. Néanmoins, des évolutions majeurs ont lieu sur le site au VIII° siècle avant notre ère, date de fondation mythique de la cité.
En effet, la vallée du forum connaît un certain nombre de mutations au cours du VIII° siècle avant notre ère. Le lieu cesse d’être une nécropole et ce de fait, on déplace les sépultures hors de la zone. Il y a là une véritable restructuration de l’espace. Le Palatin devient un lieu de résidence et accueille de nombreuses nouvelles constructions. En effet, au VIII° siècle avant notre ère, à lieu un synœcisme, c’est à dire une union de différents villages au sein d’un même lieu. Les vestiges dans les sépultures montrent également un début de hiérarchisation de la société. On le voit par les différents éléments trouvés dans les tombent qui montrent que certains individus possédaient plus de richesse que les autres comme le signalent certains bijoux ou certaines armes. On voit donc l’émergence d’une véritable aristocratie et une élite militaire. Ces vestiges montrent aussi que Rome effectuait déjà des échanges avec le monde extérieur comme le montrent par exemple les bijoux en ambre. Mais, pour unir plusieurs villages et instaurer une hiérarchie, il faut un personnage fort et charismatique que chaque individu souhaite suivre. C’est peut-être cet homme que l’on considère comme le fondateur de Rome, le véritable Romulus, étymologiquement, le premier des Romains.

Enfin, l’édification des limites de la ville de Rome quand a elle possède une vérité historique irréfutable. En effet, le tracé des limites fait référence aux rites de fondation étrusques. Tout d’abord, il fallait prendre les auspices pour déterminer l’emplacement de la cité puis les axes principaux de la cité. Ensuite, on signalait les limites de la ville en traçant un sillon dans le sol afin d’éloigner les dieux infernaux grâce à un araire en bronze tiré par des taureaux blancs. Le fondateur guide les animaux en prenant soin de rejeter la terre vers l’intérieur de la future cité. Tout ceci nous montre donc bien que les mythes de fondation de Rome possèdent une vérité historique malgré leur aspect fantastique. Mais qu’en est-il des récits sur la mise en place de la société romaine ?
La période royale, période fantasmée ?
Selon la tradition littéraire, seule source d’informations que nous avons sur la période royale, Rome a été dirigée par des rois pendant plus de 200 ans, de 753 à 509 avant notre ère. Chacun d’entre eux aurai régné pendant une période d’environ 30 ans à 35 ans. Cette période de règne peut sembler douteuse. En effet, il paraît peut probable que pendant 250 ans, 7 rois se soient succédé et régné pendant 30 ans sans aucune interruption. Sur certains points, la tradition littéraire semble donc invraisemblable. La période royale voit tout d’abord défiler des rois dont la réalité historique peut sembler douteuse. Pour revenir sur des points abordés lors de précédents articles, Romulus aurai bel et bien rangé les citoyens romains dans les curies et fondé le Sénat. Numa Pompilius est lui aussi une figure très cohérente et dote Rome de ses prêtrises, de son calendrier et de ses institutions religieuses. Toutefois, les rois qui les succèdent sont peu vraisemblables avec des caractères ou très belliqueux ou très pacifistes. Par exemple Ancus Matius est décrit comme un roi pacifique, ce qui ne l’empêche pas de détruire entièrement une des cités voisines de Rome…
Puis, à parti du VI° siècle avant notre ère, les choses deviennent plus claires. En effet, Rome, voisine des Étrusques, voit s’installer sur le trône des rois étrusques, Tarquin l’ancien, Servius Tullius et Tarquin le Superbe.

Servius Tullius, comme nous l’avons déjà évoqué, créé le premier système censitaire romain avec trois classes distinctes et il forme quatre tribus dans lesquelles il répartit les Romains. Pourtant, la tradition littéraire lui prêtent bien plus de réformes que celles évoquées. Il aurai en plus étendu les frontières de la ville, introduit le monnayage en ville et créé les fortifications de la ville. De plus il aurai créé cinq classes censitaires et non trois et qu’elles étaient elles-mêmes subdivisées en 193 centuries. Les recherches historiques ont démontré que les cinq classes censitaires seraient arrivées beaucoup plus tard, uniquement en 312 avant notre ère. Malgré un fond historique fort, les actions de Servius Tullius sont exagérées par la tradition littéraire et sa carrière ressemble fortement à celle d’un tyran grec.
Toutes ces incohérences dans le récit de la période royale romaine viennent en grande partie du fait que les historiens antiques qui ont écrit sur le sujet l’on fait bien après les fait. Les sources étant peu nombreuses, les auteurs avaient tendance à faire des raccourcis historiques ou encore à passer sous silence des moments peu glorieux de l’histoire. On peut ainsi penser que les rois n’ont pas régné chacun 30 ans mais que certains rois intermédiaires ont été passé sous silence, sans doutes parce qu’ils n’avaient pas obtenu le consensus des assemblées populaires. Toutefois, le IV° siècle reste une période très importante pour l’organisation du corps civile, la réorganisation spatiale et bien sur pour l’organisation temporelle avec la création du calendrier romain.
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On peut donc dire que les mythes de fondation de Rome n’ont pas de réalité historique rigoureuse. Toutefois, ils s’inspirent fortement de la réalité qu’ils embellissent et rendent attrayante. Les mythes viennent apporter une dimension héroïque à la création de Rome afin de justifier son statut dominant dans les siècles ultérieurs. Ce sont donc des récits ayant pour but de faire une certaine propagande pour la gloire de Rome puis de son empire.
Bibliographie
Ouvrages généraux
- BARD Mary, S.P.Q.R, Histoire de l’ancienne Rome, Perrin, 2016.
- MOREAU Tiphanie, VAUGHAN Géraud, 100 fiches d’histoire romaine, Bréal, 2013.
Ouvrages spécialisés
- HAMILTON Edith, La mythologie, ses dieux, ses héros, ses légendes, Marabout, 2013.
- Dir. JOURNET Nicolas, Les grands mythes, origines, histoire, interprétations, Sciences humaines éditions, 2017.
- SCHMIDT Joël, 100 histoires de la mythologie grecque et romaine, Puf, 2016.
Articles
- Cairo Giambattista. Quelques considérations sur les sept rois de Rome (I). In: Vita Latina, N°187-188, 2013. pp. 3-17;https://www.persee.fr/doc/vita_0042-7306_2013_num_187_1_1751
- MAGDELAIN André.MAGDELAIN André. Le pomerium archaïque et le mundus. In: Jus imperium auctoritas. Études de droit romain. Rome : École Française de Rome, 1990. pp. 155-191. (Publications de l’École française de Rome, 133); https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1990_ant_133_1_3956