En France, quand on parle de rois, une image nous vient immédiatement en tête, celle de Louis XIV, roi de France de 1643 à 1715. Il représente la monarchie absolue et la richesse de la royauté avec la construction du château de Versailles qui continue à nous émerveiller aujourd’hui. Le portrait peint par Hyacinthe Rigaud en 1702 est LE portrait du roi de France qui nous vient également en tête quand nous évoquons la monarchie française et il a influencé les portraits de nombreux monarques et hommes politiques, encore aujourd’hui. Pourquoi ce portrait a été aussi influent ? Pourquoi nous est-il si connu ? Comment nous montre t-il le pouvoir du roi ? C’est ce que je vous propose de découvrir aujourd’hui.

Une représentation du roi de France
Les origines du portrait
Comme toutes les représentations de souverains, le portrait de Louis XIV est une commande passée à Hyacinthe Rigaud entre le 16 novembre et le 4 décembre 1700. Cette commande prend place dans un contexte politique assez complexe. En effet, le roi d’Espagne, Charles II, meurt le 1er novembre 1700. Dans son testament Charles, bien qu’il n’existe aucun lien de parenté entre lui et la famille royale de France, indique que Philippe d’Anjou, fils du Grand-Dauphin et petit-fils de Louis XIV, est le successeur au trône d’Espagne à la condition que ce dernier renonce à la couronne de France. Louis XIV accepte les termes de ce testament et présente son petit-fils, futur Philippe V, à la Cour d’Espagne le 16 novembre. Avant le départ de Philippe, le roi de France souhaite conserver un portrait de son petit-fils investi de sa nouvelle autorité mais également donner un portrait de lui à ce dernier pour qu’il puisse l’emmener à Madrid. Une double commande est donc passée à Hyacinthe Rigaud qui a déjà réalisé des commandes pour la famille royale.
Le peintre commence par peindre le portrait de Philippe V le 1er décembre 1700. Ce portrait est essentiellement réalisée en l’absence du roi d’Espagne puisque ce dernier part pour Madrid le 4 décembre 1700. Rigaud ne travaille avec son modèle que pendant quatre jours. Il consacre probablement ces quatre journées de travail à la réalisation du visage du nouveau souverain espagnol.

L’année suivant, Hyacinthe Rigaud s’attelle à la réalisation du portrait de Louis XIV, après avoir terminé le précédent. Le marquis Dangeau nous indique que le Roi Soleil ne consent qu’à trois séances de poses qui s’étalent entre 1701 et 1702 puisque la dernière séance a lieu le 19 janvier 1702. Une fois l’oeuvre terminée, le tableau est présenté dans le grand appartement du château de Versailles. La Cour apprécie tellement le travail du peintre qu’il est décidé de garder le portrait et d’envoyer une copie au roi d’Espagne. Une des raisons de ce succès est la représentation grandiose du monarque.
Une représentation grandiose
Il est tout d’abord nécessaire de noter que cette oeuvre est un grand format de plus de 2,76 mètres et qu’elle a été accrochée à plus de 2 mètres du sol. Sur cette représentation, Louis XIV est représenté plus grand que nature et il domine toute la cour du regard. De plus, elle représente le monarque dans ses habits de sacre. On peut le remarquer par la présence du manteau de sacre, d’azur à lys d’or et doublé d’hermine. De plus, il est entouré de tous les accessoires du sacre qui lui permettent de mettre en avant son pouvoir et l’absolutisme.
Enfin, le roi se fait représenter dans un décor somptueux comme le laisse imaginer la colonne de marbre monumentale en arrière plan pourvue d’un bas relief représentant la déesse de la justice, Thétis. Ce décor fastueux est caché par un grand dais de velours rouge qui vient recentrer le regard sur la figure du roi.
Une représentation du pouvoir du roi
Les insignes du pouvoir
Pour montrer son pouvoir royal et la continuité dynastique, Louis XIV se fait représenter en tenu de sacre avec les regalias. Il s’agit de l’ensemble des objets qui symbolisent la royauté. Parmi ces objets, on retrouve le sceptre et la couronne symbole du pouvoir royal.

La sceptre est court, fleurdelisé et porté à l’envers. Ces éléments permettent d’identifier cet objet comme étant le sceptre de Henri IV, réalisé pour son sacre à Chartres. En effet, Henri IV étant d’origine protestante, les ligueurs (les membres du parti catholique pendant la Guerre de Religions) avaient confisqués les regalias à Saint-Denis en signe de protestation. Le roi s’en sert comme une simple canne. Pourtant, elle ne touche pas le sol. De ce fait, la fleur de lys est représentée tête en bas, appuyé sur un carreau posé sur le tabouret, auprès de la main de justice et de la couronne de France. La couronne du roi se trouve posée à côté. Cette dernière est en or et comporte une nouvelle fois des fleurs de lys. Associé au trône que l’on aperçoit en arrière plan, ces éléments placent Louis XIV comme le souverain du royaume de France. Enfin, sur le tabouret, à côté de la couronne et du sceptre, on peut voir la main de justice. Cette main en ivoire symbolise, comme son nom l’indique, le pouvoir du roi de rendre la justice. Une nouvelle fois, il s’agit d’une des regalia d’Henri IV.
En plus du pouvoir royal et judiciaire, Louis XIV montre dans ce portrait son statut de chef des armées, décidant au nom de Dieu de la guerre et de la paix. Pour cette raison, il se fait représenter avec une ceinture à la taille. Cette dernière est richement décorée : elle est sertie de pierres précieuses et le quillon, c’est à dire la garde de l’épée, est pourvu de deux dragons ailés, à la gueule ouverte et aux yeux incrustés de perles. Ces différents éléments permettent d’identifier cette épée comme étant “Joyeuse”, l’épée de Charlemagne qui servait aux sacres. Enfin, le roi porte le collier de grand maître de l’Ordre du Saint Esprit, reconnaissable par la présence d’une colombe centrale. Il s’agit du plus prestigieux des ordres de chevalerie du royaume de France, fondé en 1578 par Henri III.


Des insignes détournées
Bien que tous les attributs royaux soient présents sur cette oeuvre, chacun est détourné de sa fonction première. Si l’on reprend les éléments dans l’ordre, le manteau entrave les jambes du roi alors qu’elles semblent sveltes et prêtes à l’action. De plus, il s’appuie sur son sceptre, qu’il tient à l’envers, comme nous l’avons dit plus haut. De ce fait, il semble à première vue que ce ne soit qu’une simple canne, qui ne touche pas le sol mais qui est en appui sur le tabouret. Si l’on se penche sur la couronne, cette dernière n’est pas celle du sacre mais celle qui sera posée sur la tête du roi lors de ses obsèques.
L’épée de Charlemagne est positionnée de manière très originale. Elle entrave le manteau du roi et semble flotter dans une position oblique qui n’est pas naturelle puisque le roi n’appuie pas sur la poignée. Il s’agit en fait d’un moyen de structurer la toile en deux espaces distincts : le premier met en valeur l’espace public occupé par Louis XIV avec le bas du corps du roi et les regalias sur l’estrade tandis que le second espace, en haut de l’oeuvre, représente l’espace privé avec une simple chambre à coucher figée. Ces différents éléments de représentation du roi et de son pouvoir permettent de mettre en avant une nouvelle représentation du monarque en France.
Un nouveau modèle de représentation du monarque
Un portrait qui s’inscrit dans une continuité
Il faut tout d’abord noter qu’il existe une longue tradition de représentations royales. Le premier portrait de roi est celui de Jean II le Bon, roi de France de 1350 à 1364. Représenté de profil, à la mode italienne, il a le menton lourd et un nez droit. Il s’agit d’une oeuvre très réaliste avec un grand goût pour le détail, quitte à frôler la laideur comme le montre la présence d’une bosse sur le nez du roi. Suite à cette oeuvre, les représentations de rois se développent et se multiplient en peinture, gravure, sculpture ou encore sur les monnaies.

A l’époque médiévale, le roi est représenté en majesté, sur les sceaux ou encore sur les enluminures. On peut y voir le roi, en position frontale, assis sur un trône installé sur une estrade et surmonté par un dais. Il est enveloppé dans son manteau royal, sa couronne sur la tête, tenant le sceptre et la main de justice. Ce type de représentation perdure jusqu’au début du XVIIe siècle où Louis XIII se fait représenter sous cette forme au moment de son sacre.

A partir de la Renaissance, les rois vont adopter de nouvelles représentations. Ils vont reprendre les codes antiques pour montrer leur puissance comme le font les Bourbons pour affirmer leur pouvoir pendant les affrontements religieux. Louis XIII se fait ainsi représenter sur son trône en 1635 par Philippe de Champaigne avec une tenue à la romaine sous son manteau de sacre. La représentation à la romaine donnait un surplus de prestige à la figure royale. Les peintres introduisent également différentes représentations iconographiques qui seront ensuite reprises. Ainsi, les jambes du souverain se dévoilent en relation avec le sceptre ou le bâton. La main de justice n’est plus tenue par le souverain mais posée aux côtés de la couronne. De plus, de la tenue du sacre, le roi ne va garder que le manteau fleurdelisé et une tenue de Cour. Ainsi, Henri Testelin établit un nouveau modèle en 1648 avec son Louis XIV Victorieux. Puis, avec Louis XIV, le monarque n’est plus représenté assis sur un trône, mais débout, imposant ainsi son pouvoir.


Ainsi, la représentation du roi et de son portrait est une pratique ancienne, en constante évolution et Hyacinthe Rigaud ne détient pas l’exclusivité d’avoir montré le roi dans toute l’étendue de sa majesté avec les emblèmes de son autorité. Mais, il va inscrire Louis XIV dans cette continuité monarchique.
S’inscrire dans une continuité monarchique
Parmi les différents éléments que nous avons vus, beaucoup d’entre eux font référence à des rois célèbres et reconnus dans le royaume de France. Parmi eux, les regalias de Henri IV. Ces dernières n’ont été utilisées que par Henri IV. Pour Louis XIV, les représenter revient à symboliser son appartenance à la dynastie des Bourbons, initié par Henri IV. Ces objets ont été réalisés avec une grande précision ce qui permet de penser que le peintre les a eus en sa possession. Dans un second temps, on retrouve l’épée de Charlemagne, Joyeuse. En représentant cette épée, il se positionne comme le digne héritier du célèbre empereur. Enfin, en portant le collier de grand maître de l’Ordre du Saint Esprit, Louis XIV fait référence à Henri III, montrant ainsi que la monarchie se perpétue de façon héréditaire.
Rigaud fait également référence à d’autres rois en reprenant la posture de ces derniers dans son portrait. Ainsi, certains historiens de l’art ont vu dans la position des jambes de Louis XIV une référence au Louis XIV en danseur, peint par Henri de Gissey en 1670 ou encore une ressemblance avec la représentation d’Antoon Van Dyck de Charles I° d’Angleterre en 1635 : les deux rois se tiennent debout, de trois-quart face, dans une attitude similaire et regardent de la même manière le spectateur. Hyacinthe Rigaud parvient donc à montrer le pouvoir du monarque et sa toute puissance, héritier d’une longue lignée de rois légitimes. Mais, bien que Louis XIV se présente comme le digne successeur d’une longue monarchie, il met en place une nouvelle manière de représenter le roi, en rupture avec le passé.


Une nouvelle façon de représenter le roi
Dans un premier temps, les historiens de l’art ont mis en avant une grande différence entre le haut et le bas de la silhouette du roi. Ses jambes sont sveltes, gainées de bas de soie blancs. Ses pieds sont chaussés de souliers fins à talons, ornés de rubans : ce sont les chaussures du roi, lorsqu’il était plus jeune et dansait dans les ballets de la cour. Les jambes du roi ne pouvaient être ainsi lorsque Rigaud a peint son portrait. En effet, le roi est âgé de 63 ans et est sujet à de violentes crises de goutte. De plus, le roi a été opéré en 1686 d’une fistule anale et il avait du mal à marcher. Tous ces éléments montrent qu’il ne pouvait pas rester debout dans une telle posture. En revanche, son visage est ridé et ses joues creuses laissent deviner la mâchoire édentée d’un homme de 63 ans. Plusieurs chercheurs ont voulu y voir une volonté de distinguer les deux corps du roi, le simple mortel aux traits fatigués par l’âge et le roi dans sa fonction, immortelle et inaltérable. C’est la première représentation qui met en avant ces deux aspects.
De plus, le peintre va créer de nouveaux symboles pour rompre avec ce qui lui a précédé. Il agence une mise en scène basé non plus sur la gloire mais sur l’émotion incarnée par les traits fatigués du monarque. Rigaud a su mêler jeunesse et vieillesse pour “réaliser un certain équilibre entre solennité et décontraction”.
Cette représentation du roi dans toute sa gloire mais aussi du roi en tant qu’homme a beaucoup influencé les souverains postérieurs qui ont repris ce modèle tels que Louis XV en 1730 ou encore Louis XVI en 1777. Les mêmes codes de représentation y sont repris et l’image de Louis XIV devient un modèle de la représentation du pouvoir monarchique.


Cependant, après la Révolution française, ce modèle ne tombe pas dans l’oubli et les différents régimes politiques vont s’en inspirer pour représenter les hommes de pouvoir. On peut ainsi penser à Napoléon ou encore à nos présidents de la Cinquième République qui se font représenter avec tous les insignes de leur pouvoir à l’image de De Gaulle, Georges Pompidou ou encore Nicolas Sarkozy.


Que retenir ?
A travers son portrait en tenue de sacre, Louis XIV parvient à se présenter comme le monarque absolu, détenteur de tous les pouvoirs comme le montrent les regalias. Ils se place également comme l’héritier d’une longue histoire, marquée par des souverains prestigieux. Enfin, il opte pour une nouvelle représentation de la figure royale, instaurant ainsi un nouveau modèle admiré et copié de nombreuses fois.
Bibliographie
Ouvrages généraux
- ARIZZOLI-CLEMENTEL P., GORGUET BALLESTEROS P., Fastes de cour et cérémonies royales : le costume de cour en Europe, 1650-1800 [Exposition], Paris, RMN, 2009.
- FIGEAC M., Le prince et les arts : en France et en Italie, XIVe-XVIIIe siècles, Paris, SEDES, 2010.
- PEREZ S., Le corps du roi, Paris, Perrin, 2018.
- RENARD P., Portraits et autoportraits d’artistes au XVIIIe siècle, Paris, La Renaissance du Livre, 2003.
- SABATIER G., Le prince et les arts : stratégies figuratives de la monarchie française, de la Renaissance aux Lumières, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2010
Ouvrages spécialisés
- JAMES-SARAZIN Ariane, Hyacinthe Rigaud, 1659 – 1743, L’homme et son art, Tome 1, Dijon, Éditions Faton, 2016.
- JAMES-SARAZIN Ariane, Hyacinthe Rigaud, 1659 – 1743, Catalogue raisonné, Tome 2, Dijon, Éditions Faton, 2016.
- PERREAU S., Hyacinthe Rigaud, 1659-1743 : le peintre des rois, Montpellier, Les Presses du Languedoc, 2004.
Webographie
- TRIQUENEAU Maxime, “Portrait du roi, portrait du président”, Imaginaire du pouvoir et de la noblesse (XVIIIe – XIXe siècles) – OpenEditions. Dernière consultation le 08/07/2020 : https://imaristo.hypotheses.org/103?fbclid=IwAR3KHjH59h3AQbHSb-jF5UyF07ZSW9j1fTGIO3bFbB8XoZ_WSKC148auH08
Un grand merci à mes relecteurs :
- Lauriane, pour son regard neuf et attentif ;
- Arnaud, pour ses connaissances, sa bienveillance et sa patience ;
- Ma mère, pour son soutien sans failles.