Le cochon régicide

Enluminure représentant la mort accidentelle de Philippe de France en octobre 1131

Dans son livre, Le roi tué par un cochon, Michel Pastoureau met en avant la mort tragique du fils de Louis VI le Gros, Philippe de France (1116 – 1131). Le 13 octobre 1131, alors qu’il chevauche dans les faux-bourgs de Paris, un cochon apeuré effraye sa monture. Philippe fait alors une chute et se blesse à la tête. Il meurt peu de temps après, laissant le trône à son frère, le futur Louis VII.

Cette mort de l’héritier va alors faire beaucoup de bruit dans les chroniques médiévales puisqu’elle est considérée comme infamante. En effet, un simple cochon, alors perçu comme une créature sale et se nourrissant de déchets, a causé la mort du prince, frappant toute sa lignée d’infamie. Le cas de ce cochon régicide pose bien des questions, notamment sur la perception des animaux au Moyen Âge et les procès qui leur sont infligés c’est le sujet que je vous propose de découvrir aujourd’hui.

La perception des animaux au Moyen Âge

Page du Bestiaire d’Aberdeen (XIIe siècle)

Le traitement des animaux au Moyen Âge est parfois associé à la peur qu’en ont les contemporains. On peut remarquer que les peurs liées aux animaux sauvages sont parfois liées aux représentations que s’en font les Hommes au Moyen Âge. Les auteurs médiévaux vont écrire des livres sur les animaux et leurs comportements que l’on nomme les bestiaires. Cette pratique existe depuis l’antiquité et notamment avec le bestiaire d’un auteur anonyme que l’on nomme communément Physiologus

Les auteurs du Moyen Âge vont cependant apporter une nouvelle dimension à ces écrits et introduisant les bêtes dans une sphère morale et en décelant dans leur comportement des leçons de Dieu pour le salut de l’humanité. Les bestiaires médiévaux sont des ouvrages d’histoire naturelle mais également entièrement fabuleux. S’opposent la plus part du temps les créatures de Dieu, les ovins, bovins, équidés, le cerf et la licorne mais aussi les oiseaux en général les oiseaux, aux créatures du Diable, c’est à dire, le porc, le rat, le loup et le serpent. Ici, l’animal n’est plus étudié pour lui-même mais il véhicule un message et témoigne de la grandeur de Dieu. 

Tous ces éléments montrent une curiosité certaine de la part de la culture médiévale chrétienne pour le monde animal. Deux courants s’opposent à ce niveau, le premier distinguant le plus nettement possible l’Homme et la créature animale, considérée comme imparfaite, et un second, considérant qu’il existe un lien entre l’Homme et l’animal. Tout cela pousse à la question de la responsabilité morale des animaux et donc de leur responsabilité juridique. 

Les procès d’animaux

De ce fait, entre le XIIIe et le XVIe siècle se déroulent plusieurs procès d’animaux dont une soixantaine de cas sont répertoriés. Il existe trois catégories de procès. Le premier concerne les animaux domestiques pris individuellement et qui ont blessé grièvement un homme, une femme ou un enfant. Ici, un procès criminel a lieu. Le procès de la truie de Falaise est bien connu pour ce premier cas de figure : en 1386, une truie accusée d’avoir tué un enfant en lui ayant dévoré un bras et une partie du visage. Elle est alors condamnée à mort après neuf jours de procès. 

Illustration représentant une truie et ses porcelets jugés pour le meurtre d’un enfant. Le procès aurait eu lieu en 1457, la mère étant reconnue coupable et les porcelets acquittés

Ensuite viennent les procès d’animaux envisagés collectivement qui dévastent les terroirs ou menacent les populations. Les autorités laïques organisent des battues pour les grands animaux tandis que l’Église se charge des plus petites bêtes comme les rongeurs ou les insectes. Enfin, viennent les crimes de bestialité où les Hommes entretiennent des relations intimes avec les animaux. Ces procès sont très liés aux procès de sorcellerie dans lesquels les animaux sont mêlés d’une manière ou d’une autre. 

Ces procès sont souvent vus comme une manière de montrer l’exemplarité de la justice et que la justice concerne tout le monde. Ils mettent en scène l’exercice parfait de la « bonne justice ». L’animal est arrêté, incarcéré, nourri et logé jusqu’à son procès. Il se voit attribuer un avocat et on procède à des procès-verbaux, des enquêtes et des auditions de témoins. La sentence est annoncée à l’animal dans sa cellule et les forces publiques viennent appliquer la sentence. Les peines sont le plus souvent des pendaisons. Mais, des animaux vont également être étranglés, décapités, noyés ou encore enterrés. Quand l’Église intervient, elle fait recours à des exorcismes et elle prononce parfois des anathèmes en les maudissant ou en les excommuniant. 

Bien que ces procès puissent nous laisser penser que les animaux étaient mal considérés au Moyen Âge, certains sont traités avec le plus grand respect, comme les chevaux, ces derniers étant considérés comme des marques de pouvoir et de prestige.

Bibliographie


Ouvrages généraux :

  • BARTLETT R. (dir.), Le monde médiéval, Paris, Thames & Hudson, 2007


Ouvrages spécialisés :

  • CHAIX L., MENIEL P., Archéozoologie : les animaux et l’archéologie, Paris, Errance, 2001.
  • HORARD-HERBIN M. P., VIGNE J. D., Animaux, environnements et sociétés, Paris, Errance, 2005.
  • BERLIOZ J., POLO DE BEAULIEU M. A., L’animal exemplaire au Moyen-Age (Ve-XVe siècle), Rennes, PUR, 1999.
  • MANE P., Le travail à la campagne au Moyen Âge, étude iconographique, Paris, Picard, 2006.
  • PASTOUREAU M., Une histoire symbolique du Moyen âge occidental, Paris, Seuil, 2004.
  • PASTOUREAU M., Bestiaires du Moyen Age, Paris, Seuil, 2011.
  • VOISENET J., Bêtes et hommes dans le monde médiéval : le bestiaire des clercs du Ve au XIIe siècle, Turnhout,
    Brepols, 2000.


Articles

  • PASTOUREAU M., « Le bestiaire symbolique du Moyen Âge ».
  • DELORT R., Les animaux en Occident du Xe au XVIe siècle, in : Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, 15ᵉ congrès, Toulouse, 1984, Le monde animal et ses représentations au moyen-âge (XIe – XVe siècles), pp. 11-45.
  • DELORT R., L’homme et la nature au Moyen Age. Paléoenvironnement des sociétés européennes, in : L’homme et la nature au Moyen Âge, Paléoenvironnement des sociétés occidentale, Actes du Ve Congrès international d’Archéologie Médiévale (Grenoble, 6-9 octobre 1993), Caen : Société d’Archéologie Médiévale, 1996, pp. 7-10.
  • Revue : « Des animaux et des hommes » (janvier 2009), L’Histoire, n° 339 (numéro spécial).

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